nouvelle « master-class » avec Alessandro Bosetti – Phonurgia Nova
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nouvelle « master-class » avec Alessandro Bosetti

nouvelle « master-class » avec Alessandro Bosetti

Un entretien avec Alessandro Bosetti

On s’en souvient : avec Anne Laure Pigache, vocaliste et improvisatrice, vous avez créé à Arles en 2012 « Handmade Radio / la Radio Cousue Main » : un dispositif pédagogique original qui consistait  à se projeter aux premiers temps techniques de la radio, pour en revisiter tout le potentiel. Le  principe (“le dogme”) était le suivant : un seul micro pour tous les protagonistes, le travail radio se faisait en direct, sans montage ni effet, ni recours à l’ordinateur. Le groupe formé à cette occasion a décidé de continuer sous forme d’une émission mensuelle, accueillie par Radio Campus Paris. Puis elle a essaimé à Bruxelles et sur Radio Campus Besançon.

Cette année vous proposez une nouvelle « master-class » (1) à destination de jeunes compositeurs, artistes et interprètes : en quoi consiste-t-elle ? sur quelles hypothèses de travail repose-t-elle ?

Dans cette master-class on poursuit une double trajectoire, d’un côté on essaye de produire collectivement, quelque chose de nouveau et de l’autre, il y a un accompagnement personnalisé qui consiste à suivre les projets des unes et des autres et à chercher à les développer, à les mettre en discussion. Tout en fournissant  des outils techniques pour les déployer ou encore en trouvant des références historiques ou théoriques qui puissent servir à les relancer dans de nouvelles directions. Cela se passe particulièrement bien alors qu’on travaille collectivement et même si on se concentre souvent sur le travail spécifique d’un.e participant.e : l’énergie, les échanges et le bouillonnement du groupe font avancer les choses de manière surprenante.

L’hypothèse est que ce que on appelle « art radiophonique » ou « art sonore » est quelque chose de particulièrement fluide en termes de compétences techniques et de cadres formels. Depuis que la radio s’est déployée sur internet, croisant le spectacle vivant ou encore générant des formes hybrides avec la composition musicale, les outils qu’elle mobilise sont très variés; dans l’élaboration d’une nouvelle pièce on peut avoir besoin de concevoir un patch sur max MSP, de maîtriser une situation d’enregistrement dans des espaces paradoxaux ou encore d’envisager un montage non conventionnel.  J’observe qu’il y toujours une difficulté à passer de la phase théorique, du concept, de l’idée à sa réalisation sonore. “Ok, mais comment je réalise ca ? Comment je le fais sonner ?” C’est sur ces aspects que nous travaillons, tout en transférant pas mal de notions techniques dans la foulée.

Votre recherche, on le sait, questionne l’écoute, notamment l’écoute des langues,  au-delà de leur signification, de leur sens.  L’idée de cette « master-class »  est-elle d’entraîner les participants dans ce sillage ? 

L’écoute est bien sur au centre de mon travail. Un dispositif technique, une nouvelle création sonore surgit parce qu’on a trouvé une manière différente d’écouter et qu’on a envie de la partager avec les autres. C’est précisément cela qui m’a toujours fasciné à la radio et notamment dans l’art radiophonique le plus poussé: le fait qu’on utilise cet outil bizarre qui répand des sons à travers le monde pour écouter toute sorte de sons inouïs. Et la raison pour laquelle ces sons ne passent pas inaperçus est qu’implicitement on partage aussi une posture d’écoute qui va avec.

Ce qui me fascine personnellement c’est le procédé qui amené à faire abstraction des choses, assumer une posture contemplative en face des objets qui sont même très familiers – une langue que nous connaissons, par exemple – tout en essayant de la regarder comme si il s’agissait d’un objet absolument inconnu. Mettre de la distance, percevoir cette altérité même la plus radicale est au centre de ma pratique sonore.

La radio est-elle toujours, pour vous, un terrain de liberté ? 

Plus que jamais. Elle est devenue encore plus attirante depuis qu’elle n’est plus reléguée uniquement au domaine des ondes hertziennes : elle est un enchevêtrement des concepts, d’espaces et temps sonores, de narrations, bruits, harmonies, des micros, enregistreurs et haut-parleurs qui se s’entremêlent par timelines interposées. Pour moi, l’idée radiophonique est quelque chose qui est à l’opposé de l’unité de temps et de lieu d’Aristote, qui crée des paradoxes a travers le son, mêlant par exemple des sons très intimes à d’autres très lointains, ou encore permettant de faire se rencontrer des sons très récents à des propos ou sons très anciens ou décalés mais en dialogue entre eux, etc. C’est une graine très fertile une fois qu’elle est jetée au milieu d’autres expressions, comme la musique ou le théâtre, pour ne choisir que deux exemples parmi d’autres.

Quelles sont vos autres actualités ?

Je suis en train de reprendre une pièce ancienne « MaskMirror »,  que je n’avais plus reprise depuis cinq ou six ans, et de la reconstruire complètement autour de la langue française. « MaskMirror » est une sorte d’exercice de ventriloquie à travers une version randomisée de ma propre voix et de ma propre grammaire. La pièce existait en anglais et en italien mais pour le français – une langue qui marche de manière très différente dans ma tête –  il a fallu tout refaire.

Je vais la jouer bientôt a Toulouse au théâtre Vent des Signes, j’ai un trac énorme et je suis très excité en même temps. A part cela, je suis ravi de voir trois productions de théâtre sonore et musical, avec un caractère notamment très radiophonique, comme « Journal de bord » et « Portraits de voix » faire leur chemin. « Journal de bord », qui est une pièce où je traverse – en le rechantant – l’intégralité d’un journal intime écrit par ma mère en 1978,  sera au Festival Musica de Strasbourg en septembre ;  « Portraits de voix », une pièce avec les NeuevocalsolistenStuttgart qui dessine une famille de voix anonymes et incorporelles existe maintenant en version radio sur Deutschlandfunk Kultur qui l’a co-produite et sera au festival Kontraklangà Berlin en automne.

De plus, je viens de finir une série de concerts et enregistrements avec les « Pièces à pédales », une suite de pièces avec trois musiciens (Vincent Lhermet, Anne Gillot qui est aussi femme de radio et Gareth Davis) et un groupe de mathématicien-nes dans leur propre rôle, centré autour des voix improbables des instrumentistes.

Les voix comme êtres autonomes, vivantes mais en quelque sorte détachées des humains continuent de m’obséder, elles sont au centre du projet d’archive vocal Plane/Talea qui sort un nouveau double LP mais récemment c’est aussi de plus en plus la composition musicale et instrumentale dans sa spécificité et sa complexité qui vient a s’entremêler dans le palimpsestes et les protocoles radiophoniques.

(1) lien vers la master class de juin 2022

photo d’illustration © Martina Pozzan / IUAV, 2017  © Veilhan / ADAGP, Paris, 2018