Ecrire pour les oreilles – Phonurgia Nova
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Ecrire pour les oreilles

Ecrire pour les oreilles

L’avenir qui se dessine remet à l’honneur la fiction sonore. C’est pourquoi, du 12 au 16 avril prochains nous ouvrons un atelier de professionnalisation à l’écriture de fiction audio (radio et podcast). Nous en profitons pour donner la parole à son animateur, Philippe Touzet. “L’auteur de radio vise à faire naître une alchimie de mots, silences, ambiances et sons, qui seule permet de transformer un univers littéraire ou une intrigue en un tableau visuel, ou, comme le dit justement Kaye Mortley, en un film radiophonique” dit-il. Explications.

Comment avez-vous rencontré la radio ?

J’ai rencontré la radio en en faisant… Enfant, adolescent, j’étais dans une famille qui n’écoutait pas la radio. Mais à 17 ans, énorme coup de chance, j’ai participé activement à l’aventure des Radios Libres…  Un peu comme dans une armée Mexicaine où on peut se retrouver général du jour au lendemain, je me suis retrouvé à animer des émissions de musique, de jazz, à mener des interviews, à faire du micro-trottoir… Je n’y connaissais rien ! J’avais beau avoir l’insouciance de mon âge, je ressentais au plus profond de moi le besoin de me documenter, de me perfectionner… À la maison, dans la cuisine, il y avait un transistor qui ne servait pas à grand-chose, sur le frigidaire… Je l’ai réquisitionné, exfiltré vers ma chambre et j’ai passé des heures et des heures à écouter la radio, toutes stations confondues… Et je n’ai pas arrêté depuis…

Comment avez-vous appris la fiction radio ?

En fait, un peu comme un jeune enfant qui apprend à marcher en marchant, j’ai appris à écrire des fictions radiophoniques en écrivant des fictions radiophoniques. Tout vient d’une interview que m’avait accordée Patrick Liegibel qui était, à l’époque, le boss des fictions radio à France Inter. Un homme adorable et d’une grande culture radiophonique. Sur France Inter, il dirigeait les fictions depuis près de quarante ans… Comme dans tout entretien qui se déroule bien, quand l’interviewé n’est pas pressé par le temps, nous avons digressé, beaucoup parlé de théâtre puisque Patrick Liegibel savait que j’étais également écrivain de théâtre. Et puis, à brûle-pourpoint, il m’a proposé  d’écrire une fiction. C’était pour l’émission Nuits Noires. J’ai répondu oui sans hésiter. Je n’avais jamais écrit une fiction radio, jamais écrit de polar. Le minutage était très serré pour installer une ambiance et une intrigue. Seulement huit minutes. Patrick Liegibel a fait preuve avec moi d’une patience d’ange… Un vrai producteur à l’ancienne. Toujours disponible, toujours de bon conseil.  J’ai mis six semaines pour écrire ces sacrées huit minutes… J’entendrai toujours Patrick me dire… Non Philippe, tes dialogues sont trop cinéma… Oui, c’est mieux, vraiment c’est mieux, mais tes dialogues sont trop théâtre… Je m’arrachais les cheveux ! Et depuis, en l’espace d’une dizaine d’années, j’ai écrit une quarantaine de fictions… Et j’adore ça.        

La fiction radiophonique – qui avait déserté nos programmes de formation  – a fait retour dans nos stages en 2017, car il nous semblait soudain qu’un vent nouveau soufflait sur les ondes. Après des décennies de langueur, dans ses formes diverses : série, unitaire, auto-fiction, fiction documentaire, podcasts… elle connaît un renouveau spectaculaire et trouve une audience rajeunie. Est-ce aussi votre sentiment ? Avec le recul comment voyez-vous son évolution ?

En effet, depuis plusieurs années, nous assistons à un renouveau en profondeur des fictions radiophoniques. Dans ses formes les plus diverses. L’apparition du podcast est, bien sûr, déterminante, dans ce changement radical dans l’univers de la fiction. Il a permis l’arrivée d’une nouvelle génération de créateurs et de créatrices. Des nouvelles idées, une nouvelle dynamique, des nouvelles écritures, c’est vraiment enthousiasmant. Un vrai coup de balai salutaire. Dont devraient s’inspirer plus franchement les stations de radio publiques qui proposent des fictions radio beaucoup trop formatées à mon goût… En ce qui concerne son évolution ? Vaste sujet… Du côté artistique, je viens de le dire, c’est une très bonne chose. Maintenant, il faut aussi se placer du côté professionnel… Le système économique du podcast repose sur un château de cartes biseautées. Les règles, contrats sont plutôt aléatoires, fluctuants… Tous les salaires, droits d’auteurs ont une fâcheuse tendance à la baisse… Faire aussi bien pour moins cher est une logique mortifère. Je pense qu’il faut légiférer ce domaine le plus rapidement possible afin de protéger les scénaristes mais aussi toutes les personnes qui oeuvrent à la réalisation d’une fiction radiophonique.   

Durant ce workshop vous allez jouer en quelque sorte les script doctors, en quoi cela consiste-t-il ?

Les personnes qui vont participer à ce workshop sont des auteurs, autrices confirmés dans certaines disciplines littéraires mais qui ne maîtrisent pas complètement les codes de l’écriture radiophonique. Mon rôle est de les conseiller, de les guider. De déceler les forces mais aussi les points faibles d’un scénario. Pour être plus précis, les mécanismes de chaque scénario, envoyés en amont par les participants, seront démontés avec méticulosité. Il ne sera pas question de juger mais de conseiller, de suggérer des voies de progression. Nous procèderons également à l’écoute approfondie de fictions sonores variées, empruntées aux meilleures réalisations francophones récentes de radio et de podcast. Ces écoutes permettront de mettre en perspective le travail de recherche effectué pendant le stage. L’écoute de ces fictions permettra aussi de créer le débat, de faire circuler la parole et les idées autour des principales questions abordées par la formation. 

Le script doit-il s’appréhender comme une partition sonore ? 

Oui, je le pense sincèrement. À partir du moment où on accepte le fait que le ou la scénariste écrit une histoire à partir de sa musique intérieure. Cette petite musique qui donne du grain à moudre à l’intrigue… Et quand j’entends “partition sonore”, je ne pense pas qu’à la musicalité du texte mais aussi et surtout à son rythme. Au tempo de l’histoire.  

Les acteurs du podcast ont tendance à l’opposer à la radio. Le podcast est-il un facteur de renouveau ? Qu’apporte-t-il de spécifique à la fiction ? Quels changements induit-il dans l’écriture, et la relation à l’auditeur ?

Le podcast est un facteur de renouveau au niveau de la liberté totale de création (et encore, la plupart des plateformes exigent déjà certaines limites à ne pas dépasser, le politiquement correct est déjà dans la place…) Mais le podcast peut être aussi un facteur de régression sociale. La liberté de création, oui. À n’importe quel prix, surtout des prix au ras de la moquette, non ! Qu’apporte de spécifique le podcast à la fiction ? Une certaine fraîcheur, une spontanéité dans l’écriture, une liberté de ton, l’exploration de multiples univers sonores qui, actuellement, font défaut sur les stations publiques. La relation à l’auditeur a été profondément bouleversée par l’arrivée du podcast. Je me souviens d’une époque, pas si lointaine, où on me disait concernant l’émission Nuits Noires… Philippe, n’oublie pas que tu écris pour des personnes qui écoutent la radio à deux heures du matin… Maintenant, ce type de réflexion est aussi à côté de la plaque que le journal de vingt heures à la télé. Tout le monde peut voir ou écouter ce qu’il veut à n”importe quelle heure… À son heure. L’auditeur radio n’a jamais été un “captif” comme  peuvent l’être un téléspectateur devant sa télé, un spectateur au cinéma ou au théâtre. Tous assis dans un fauteuil. L’auditeur radio est mobile. Et la technologie contemporaine a rendu sans limite cette mobilité. Avec  nos histoires, nous sommes là, tellement proches. J’aime cette idée. Très forte. Les scénaristes chuchotent des histoires au creux de l’oreille des hommes et des femmes qui marchent vers le soleil, vers le sommeil…