Vers une politique du son ? – Phonurgia Nova
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Vers une politique du son ?

Vers une politique du son ?

A l’issue de la mission de réflexion autour du développement de la création sonore menée par François Hurard, Inspecteur des affaires culturelles, un rapport a été publié par le Ministère de la culture. Il mérite attention, car il porte en germe les prémisses d’une politique culturelle à l’égard du podcast et de la création audio envisagée sous un angle plus général. Quels en sont les enjeux pour les créateurs, les producteurs, les radios et les plateformes ? Comment y est abordée la question sensible des droits d’auteurs ? Comment est posée la question non moins sensible de l’accès aux archives sonores ? De quelle manière Phonurgia Nova inscrit-elle son action dans cette démarche de transmission de la création ?

Depuis la naissance du CNC en 1946, notre ministère de la Culture soutient le cinéma. Etonnamment, cette politique de soutien n’avait pas encore trouvé son équivalent pour les arts de l’audio dans leur ensemble et dans leurs différentes déclinaisons : radio, spectacle vivant, CD, podcast, parcours sonores in situ, alors même que ce secteur est en pleine ébullition depuis au moins 20 ans. Souvenons-nous que la photographie n’a été reconnue que très tardivement par le Ministère de la culture, dans les années 70 seulement. Qu’il a fallu des années pour que la Culture, se rendant peu à peu compte de l’importance des enjeux et des difficultés d’une profession en voie de paupérisation, finisse par créer un département en son sein qui lui est dédié, au même titre que la danse, la musique ou le théâtre. La bataille pour cette reconnaissance s’est inscrite dans la longue durée : le photographe Gustave Legray, fondateur de la Société française de photographie, qui a participé à la première grande commande française en 1851 (la mission héliographique), émettait le voeu que «la photographie, au lieu de tomber dans le domaine de l’industrie, du commerce, rentre dans celui de l’art». Le photographe et fondateur en 1969 des Rencontres internationale de la photographie d’Arles, Lucien Clergue, porté par ce même désir, confiait son désarroi de n’avoir aucun interlocuteur identifiable, dans les années 70, quand il arpentait les couloirs du Ministère à la recherche de subsides pour son événement. Aussi, la mission de réflexion conduite par François Hurard, dont les conclusions ont été rendues publiques il y a peu, est en soi un événement considérable. Elle questionne un angle mort de l’action du Ministère et pose d’une certaine manière une exigence, pour le présent ou pour le futur : un devoir d’invention d’une politique du son. Alors que la démocratisation des outils numériques a fait surgir de nouveaux auteurs et publics (dans un virage sociologique comparable à celui qu’a connu la photographie au tournant des années 70), il s’agissait de dresser la carte d’un secteur en pleine structuration, d’en décrire le fragile écosystème et de réfléchir aux formes d’un soutien public ad hoc. La fonction spécifique du son comme machine à décrypter le réel et l’imaginaire s’est affirmée ces dernières années. Elle n’est plus discutable tant les oeuvres abondent. Prendre acte de cette révolution en marche pour en tirer des conséquences en terme de politique culturelle est une ambition à laquelle l’auteur du rapport mis en ligne était invité à se hisser par la lettre de cadrage du Ministère. Force est de constater que c’est un objectif partiellement atteint seulement, du fait d’un parti-pris de sectorisation : le podcast et seulement lui. Si le document a le mérite de confirmer la nécessité d’une politique de soutien au secteur au nom de la préservation de notre “souveraineté culturelle”, cet intérêt exclusif porté au nouveau-venu et l’absence de réflexion sur ce qui le relie historiquement, culturellement et économiquement même à d’autres domaines auxquels il emprunte largement (comme la radio, la création sonore d’origine plasticienne, musicale ou théâtrale, la création numérique et multimédia, qui ont en commun de travailler la vaste question de la narration sonore), réduit la portée de ses recommandations. En renforçant l’idée d’une rupture, revendiquée par certains acteurs du secteur pour des motifs concurrentiels (le podcast contre la radio ?) et en omettant d’en repérer les continuités (le podcast tout contre la radio !), il laissera probablement le lecteur sur sa faim, tout en occultant l’émergence d’un nouveau venu : « l’auteur sonore » en retardant une réflexion sur le rôle central de ce dernier, pourtant déjà bien engagée pour les arts visuels mais encore balbutiante ici. Comment ne pas voir qu’installations sonores, applications géolocalisées, podcast, parcours sonores, spectacles interactifs et création radiophonique forment un continuum qui repose sur l’intervention de ce nouveau venu ? Sur la question spécifique de la rémunération des auteurs de podcast, le rapport Hurard dégage des pistes intéressantes et sa contribution fera date. Cependant, le parti pris de souligner la rupture générationnelle liée au podcast, le conduit également à laisser dans l’ombre une autre problématique culturelle du moment : celle de la transmission des oeuvres audio léguées par les générations passées, (question qui va au-delà du problème de l’accès des éditeurs/auteurs de podcast aux archives de l’INA). Il y aurait pourtant là, une véritable opportunité à se saisir d’une question curieusement négligée depuis des décennies. Du studio d’essais de Pierre Schaeffer à l’ACR de France Culture, depuis la Libération différentes cellules de création ont engendré un impressionnant corpus d’œuvres originales, souvent géniales mais fort peu valorisées et pour la plupart introuvables (alors qu’elle sont conservées). Mais qui les connaît ? comment y avoir accès ? L’apparition du podcast fournit l’occasion rêvée d’une mise à jour des conditions d’accès à ce répertoire invisible. N’est-il pas tentant de s’en saisir pour repenser la relation de nos concitoyens à leur mémoire sonore, de rappeler le rôle éminent de la France dans la constitution de cet art basé sur l’entrelacement des composantes du sonore (bruit, musique, parole, espaces), de développer une offre éducative et culturelle de qualité ? Ce pourrait être le rôle d’un “CNC de l’audio” dont l’idée court au travers du rapport Hurard. Mais en aura-t-il l’ambition et les moyens ?  Il y faudrait une volonté politique forte assise sur une vision de l’importance de ce patrimoine immatériel.  A phonurgia nova, nous n’avons évidemment pas attendu que ces questions s’inscrivent à l’agenda politique pour les aborder et esquisser des débuts de réponses. L’idée même était au fondement de notre création en 1986. Dans un article publié jadis par l’INA dans les Dossiers de l’audiovisuel Pierre Schaeffer questionnait notre manque d’empressement à libérer nos archives, opposant la politique restrictive menée par la France à celle généreuse poursuivie de longue date par la BBC. Quand, il y a 30 ans, nous avons entrepris l’édition de La Guerre des mondes en livre et CD (et avec l’INA d’autres trésors de la réalisation radiophonique), quand les Universités d’été de la radio furent lancées, nous étions guidés par une obsession : amorcer un processus de transmission de cette création audio dont l’origine remonte aux avant-gardes du début du 20ème siècle. En 2021, le paysage s’est heureusement peuplé : Brest, Nantes, Grenoble, Bruxelles, Genève, Lussas accueillent des festivals de radio, les rendez-vous d’écoute se multiplient, sites, blogs, webzines et revues apparaissent et disparaissent. Une émulation est palpable. Un désir de sonore se propage dans tout le pays : le CNAP, Centre National des Arts Plastiques, entreprend une collection d’art radiophonique, des lieux d’écoute s’ouvrent dans le silence des musées de province (le Musée Réattu fut pionnier en 2007 avec sa Chambre d’écoute), des radios éphémères confiées aux artistes surgissent (Centre Pompidou Metz, Documenta), l’art audio s’enseigne en école d’art (Marseille, Aix-en-Provence, Bourges, Paris, Le Mans) et de théâtre (ENSATT Lyon). Sur ces fondations nouvelles, dans un contexte technologique et sociologique largement transformé, il est temps de mettre à l’ordre du jour une politique du sonore. Ce rapport, dont il faut admettre la nouveauté, ne pouvait sans doute aller si loin.  Des Etats généraux de la création sonore dont l’idée circule depuis janvier 2020 pourraient s’approprier les questions qu’il laisse dans l’ombre. En octobre prochain, les phonurgia nova awards alimenteront à leur manière (et à leur mesure qui reste modeste) ce courant de curiosité pour les arts de l’enregistrement et de la narration sonore, tous supports confondus. Ils nous réuniront à nouveau pour des séances d’écoute autour de la performance radiophonique, du documentaire sonore, de la fiction, et des écritures narratives les plus audacieuses. Ces séances seront autant de bulles d’inspiration et d’énergie à partager avec vous. Des moments précieux, dont Daniel Martin Borret, lauréat du Prix Nouvelles fictions SACD soulignait déjà l’incomparable saveur et nécessité dans cette vidéo autofilmée de 2016 : « En écoutant les gens parler de mon travail, j’apprends mon métier. »