Iga Vandenhove au Musée Réattu – Phonurgia Nova
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Iga Vandenhove au Musée Réattu

Iga Vandenhove au Musée Réattu

Chaque année, le prix Phonurgia Nova distingue les meilleures créations sonores, dans le domaine de la fiction radiophonique, du documentaire audio ou de l’enregistrement de terrain. Iga Vandenhove vient de remporter cette récompense dans la catégorie « field recording » avec Las voces del bosque Madidi, une luxuriante déambulation dans la jungle bolivienne.  Une œuvre chorale où le vivant et le non-vivant se répondent, où l’humain et le non-humain parfois se confondent… A l’occasion de la programmation de cette pièce durant tout le mois de février 2023 dans la Chambre d’écoute du Musée Réattu, rencontre avec cette jeune artiste pluridisciplinaire, graphiste de formation, qui navigue entre plusieurs médiums d’expression en fonction des sujets qu’elle aborde.

Comment en êtes-vous arrivée au son ? Et plus particulièrement au Field recording ? 
Je suis arrivée au son un peu par hasard et par le biais documentaire… Après avoir fait un court-métrage sur de jeunes migrants nouveaux arrivants, j’ai voulu continuer à approfondir leur rapport à leur nouvel environnement. Après des ateliers photos infructueux, je me suis rappelée que j’avais chez moi un Zoom H4N. Je leur ai demandé alors si des sons de Paris les avaient marqués. A ma grande surprise, 4 jeunes ont répondu. Ils m’ont donné rendez-vous à des endroits précis de Paris, comme par exemple la cour de l’hôpital Lariboisière. Magnétophone en main, ils ont enregistré puis nous avons réécouté le son. C’était déjà du Field recording mais à ce moment je n’en savais rien. A la suite des écoutes, des évocations leur venaient et la magie s’est opérée. J’ai ensuite enregistré leurs témoignages et présenté ce travail dans une installation sonore sous forme de 6 capsules contenant le son brut et leurs récits. Le son leur avait permis en quelque sorte de se raconter comme ils voulaient, de se réapproprier leur histoire, loin du récit fabriqué demandé par les administrations. J’ai découvert le son par l’immense espace qu’il ouvrait, repoussant les cadres de l’image. Aussi, il permettait une démocratisation de la parole. Dans ce cas là humaine et par la suite dans d’autres projets, animale et autre…
 
Quels liens faites vous entre graphisme et écriture sonore ?
 
En commençant les montages sonores, je me suis rendue compte qu’il s’agissait par rapport à l’image/au graphisme d’une tout autre grammaire. Néanmoins, ce que j’y vois de commun c’est la recherche d’une identité à travers des points forts et évocateurs. Dans le son j’ai réalisé avec plaisir comment des couches sonores de différents endroits peuvent venir se superposer et recréer un univers cohérent, se moquant complètement des frontières ou des limitations propres au cadre d’une image. On peut être ici et là à la fois et quelques sons caractéristiques peuvent suffire à évoquer tout un monde. Récemment, je me suis surprise à transplanter cette grammaire sonore dans des productions visuelles, notamment une vidéo expérimentale qui peut accompagner la pièce sonore Les voix du Madidi. Par la superposition de couches du réel (mélange de vidéos, photos et illustrations), la vidéo explore une grammaire visuelle où les enchevêtrements esquissent de nouveaux territoires, d’autres mondes, d’autres possibles.
Las voces del bosque Madidi vient de recevoir  le Prix Phonurgia Nova / Musée Réattu. Quel a été le déclencheur de cette pièce ?
Pendant le 1er confinement, je suis tombée sur des articles qui parlaient de pays ayant reconnus à leur entités naturelles le statut d’entités vivantes. Un fleuve, une forêt, un parc naturel devenaient sujet de droit et non plus objet. La Bolivie en fait partie. Y ayant fait il y a 10 ans un voyage, j’ai alors repris contact avec Marcos Uzquiano, un garde-forestier devenu entre-temps chef de la section B du parc national Madidi, l’aire protégé dite la plus biodiverse au monde. Le deal était fait : j’accompagnerais les gardes-forestiers dans leurs patrouilles pendant un mois et en échange, je leur laisserais les sons au besoin et ferait entendre les voix de cette forêt menacée au- delà de ses frontières.
 
Que se passe-t-il quand on se retrouve sur un tel terrain ?
 
Dans le cas des Voix du Madidi, c’est beaucoup de choses à la fois. C’est bien sûr un pays étranger avec une culture, des gens et une logique différent.e.s. Dans le parc Madidi, c’est se retrouver dans un environnement complètement étranger à ce qu’on peut expérimenter en France métropolitaine. Heureusement pour moi, il y a dix ans j’avais déjà fait un trek de 10 jours, ça me donnait une petite idée de ce que c’était. Les conditions sont difficiles. On bougeait beaucoup, il faisait chaud, il y a des dangers partout et la barrière de la peau n’en est pas une pour les insectes. Mais sur le terrain, peu importe sa difficulté, c’est comme si je rentrais dans “ma zone”, je m’y sens comme un poisson dans l’eau. Je suis à l’affût, je tends l’oreille incessamment. C’est intense, je prends rarement des pauses sur un tournage comme celui-ci. Tout ce qui s’y passe me semble exceptionnel et il ne serait pas évident du tout d’y retourner. A la fois, je demandais mentalement l’autorisation à la forêt et ses habitants de faire ces prises sonores. En étant là-bas plongée dans ce foisonnement de vie j’ai pris conscience de la force que cela représentait d’enregistrer toutes ces voix, de ce que cela représentait en terme d’écologie sonore. Sur le terrain, je me laisse porter à l’instinct, j’essaye de faire corps avec ce qui m’entoure tout en étant le plus à l’écoute possible.
 
Par quelles étapes la pièce est-elle passée ?
 
Il y a eu toute la phase préparatoire pendant laquelle Marcos et moi avons rédigé des papiers pour obtenir mon autorisation d’entrer dans le parc (environ 4 mois) et où j’ai affiné l’écriture du projet sonore. Puis j’ai rassemblé mon matériel et je me suis envolée. Très rapidement je suis arrivée à un des campements de base du parc, à Apolo. A partir de là on a rayonné puis lors d’une expédition de 6 jours, nous avons descendu le fleuve Tuichi et rejoint ainsi l’autre extrémité du parc d’où nous avons rayonné à nouveau. J’ai eu plusieurs coups durs lors du mois de tournage avec un micro qui tombe en panne, ma caméra et pour finir mon ordinateur. Heureusement les enregistrements étaient sauvegardés. J’ai dû néanmoins rentrer à cause de tout ça beaucoup plus tôt que prévu en France afin de remplacer mon matériel pour continuer à travailler. Prise aussi sur d’autres projets, j’ai mis en entrecoupé quelques mois à faire le tri. Le montage en comparaison a été assez rapide, environ 3 semaines, en juin 2022. Puis a suivi une journée de mixage avec Jules Wysocki en juillet. Enfin, j’ai commencé à présenter la pièce à des festivals.
 
Quel est son devenir à présent en dehors de sa présentation au Musée Réattu ?
 
J’ai la chance d’être régulièrement contactée pour qu’elle soit diffusée. Je souhaite que les voix de cette forêt puissent se faire entendre le plus possible et qu’elles questionnent notre rapport en tant qu’humain au reste des vivants. Je retourne régulièrement en Bolivie ayant des projets en cours là-bas et nous avons avec une artiste bolivienne, Knorke Leaf, monté un événement le 14 octobre dernier à La Paz lors duquel nous avons présenté l’œuvre sonore accompagnée d’une vidéo expérimentale. J’espère pouvoir ainsi présenter la pièce autant ici en Europe qu’ailleurs et bien sûr, aussi dans des endroits plus ou moins reculés en Bolivie comme ça a été le cas à Rurrenabaque et San Buenaventura non loin du parc. Une professeur en Bolivie m’a contacté et aimerait montrer l’œuvre à ses élèves. Je m’en réjouis, si l’écoute peut être outil de conscientisation c’est un grand pas. La pièce a aussi fait partie de l’émission “Radio renversée” de Juliette Volcler qui parlait d’écologie sonore et d’éco-féminisme. Récemment, le Shakirail en a aussi diffusé un extrait lors d’une table-ronde inversée où il a été question de parler d’hybridation entre pratiques militantes et pratiques sonores.

Ici un autre long entretien avec Iga Vandenhove dans le magazine 4’33”