Acousmatique ? Musique Concrète ? – Phonurgia Nova
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Acousmatique ? Musique Concrète ?

Acousmatique ? Musique Concrète ?

” Acousmatique ” ? C’est à Jérôme Peignot (neveu de Colette Peignot, femme de lettre connue sous le nom de Laure, qu’il publiera à titre posthume en 1971), que l’on doit la résurrection de ce terme grec oublié depuis 26 siècles, lorsqu’il s’avisa, au tournant des années 60, que la dissociation de l’image et du son  était le propre de cette musique nouvelle que Schaeffer proposait, expérimentait et théorisait déjà sous le terme de “musique concrète”.  Le terme apparâit pour la première fois dans les écrits de Pythagore au 6ème siècle avant JC. C’est d’ailleurs parce qu’il était fin helléniste que le poète, écrivain, typographe et pamphlétaire Jérôme Peignot l’a rencontré et eut l’idée de le proposer à Pierre Schaeffer comme substitut au terme (potentiellement) problématique de “musique concrète” dont l’usage avait pour principal défaut – outre son intraduisibilité (où concret en anglais signifie “béton”) – de figer une opposition avec les musiques contemporaines d’essence plus abstraite, usant de l’orchestre, des traitements électroniques ou plus tard informatique. En réalité, acousmatique désigne un dispositif de communication en aveugle. Dispositif dont le philosophe et mathématicien grec, le premier, expérimenta la puissance : il avait pour habitude de délivrer son enseignement, dissimulé derrière une tenture dans le but d’inviter ses auditeurs à se focaliser sur son seul discours. Occulter le visible, pour mieux faire naître l’écoute ? C’était déjà l’idée au 6ème siècle avant JC,  dans ce sud extrême de l’Italie où il enseignait. Gageons que le maître du logos, s’il en avait eu la possibilité technique, eût opté pour la transmission radio, confiant aux ondes sa parole sans visage. Historiquement l’acousmatique est littéralement un enfant de la radio : qui fonde son dispositif sur une occultation du visible (la radio comme moyen de proposer ” des films et des voix sans images »). Ce recours délibéré aux possibilités narratives du sonore seul, se démarque fondamentalement du théâtre ou du cinéma, lesquels tout en mettant en jeu voix, ambiances et effets sonores, ne renoncent que rarement au synchronisme image/son qui  ancre la perception naturelle du spectateur. Radiophonie, téléphonie, disque, podcast et tous les supports numériques qui découlant de la coupure de l’image et du son, circonscrivent l’art acousmatique qui est cependant rarement pensé comme un domaine à part entière, comme un continuum d’expressions. Ce réglage asymétrique de l’ordre perceptif est pourtant une grande novation : celle qui permet au sonore de s’autonomiser, en confrontant tout auditeur à l’appel de son imaginaire sonore. Bien que certaines situations ordinaires produisent ce prodige acousmatique, sans haut-parleur – ainsi, ce pas dans le couloir m’apprend l’identité de la personne qui approche ; cette  masse sonore rythmée, qui transfigure la nuit me livre la puissance onirique d’un train que je ne vois pas mais dont je reçois les sollicitations – sur le plan esthétique, l‘acte acousmatique procède d’une invisibilisation volontaire du geste producteur du son –  pour  faire entrer l’auditeur dans une autre relation au monde. D’où vient alors que ce domaine soit lui même invisibilisé ? Sans doute au fait qu’en dehors des musiciens concrets, peu nombreuses sont les communautés d’artistes qui l’ont revendiqué. Si le mot “cinéma” a très tôt désigné, sans ambiguïté, une pratique visuelle, puis audio-visuelle, fondée sur l’enregistrement simultané de l’image et du son en mouvement, il a manqué un terme comme “Acousma” pour désigner ce nouvel espace d’expression autonome. Mais plus encore que le mot manquant, c’est la pratique banalisée d’un cinéma pour l’oreille qui a fait et fait toujours défaut. Hormis sur les ondes de la radio où ces formes de création ont pu éclore historiquement et s’y développer en un élan continu (de Pierre Schaeffer au podcast), tout en étant aujourd’hui moins présentes, moins revendiquées, (même sur les stations publiques dont c’est pourtant la vocation), peu d’expériences de diffusion permanente sont proposées au public : on voit apparaître ici à Arles une Chambre d’écoute, là, des “dômes d’écoute”, ou des “séances d’écoute sous casque” ou d’éphémères “festivals” (Arles, Brest, Bruxelles, Genève, Nantes) mais cette pratique culturelle reste encore confidentielle, sporadique, tandis que le cinéma, devenu une industrie selon le mot de Malraux, a conquis les salles, les foules, la mémoire, en colonisant la culture.

C’est à ce mot précieux mais en réalité peu usité (en partie à cause du fait que les musiciens concrets l’ont accaparé), à l’extension socio-économique par ailleurs fragile, tout autant qu’aux conséquences poétiques incalculables de cette soustraction du visible, d’une puissance poétique incomparable que la Revue TK-21, dirigée par Martial Verdier, consacre son numéro en ligne d’avril 2024. Erudit et panoramique, ce numéro # 152 réunit textes,  entretiens et documents tout en donnant la parole à des figures historiques de la musique acousmatique, parmi lesquelles Michel Chion, Denis Dufour, le duo Kristoff K. Roll, Frédéric Aquaviva, Brunhild Meyer Ferrari, ainsi qu’à quelques artistes plus jeunes. La question du Hörspiel surgit avec l’apparition au sommaire du nom de Luc Ferrari et de son oeuvre multidimensionnelle qui aussi bien à la musique qu’à la création filmique, télévisuelle, graphique et radiophonique. On regrettera cependant que cette dernière dimension radiophonique, dont la contribution à la naissance d’un art acousmatique est pourtant essentielle, soit peu abordée par ce numéro. Cet oubli sera réparé dans le numéro, nous promet l’éditeur qui compte visiblement revenir sur le sujet. L’autre bonne nouvelle est que tous les numéros de Tk-21 sont accessibles en ligne gratuitement. En attendant le 153, le numéro 152 est là.