Rencontre avec Daniel Deshays – Phonurgia Nova
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Rencontre avec Daniel Deshays

Rencontre avec Daniel Deshays

Dans son nouveau livre Libertés d’écoute, le son comme véhicule de la relation (éditions MF, 2023), qui fait suite à Entendre le cinéma (Klincksieck, 2010), à Pour une écriture du son (Klincksieck, 2006) et plus récemment à Sous l’avidité de mon oreille, paradigme du sonore, Daniel Deshays replace son travail d’ingénieur du son dans le contexte plus large d’une réflexion sur le « sonore ». Ses positions, souvent à contre-courant, mettent en relief une esthétique contemporaine du son. « Comment faire usage du son ? Comment le tirer du côté de l’art ? » A l’occasion des phonurgia nova awards 2023, auxquels il participe à nouveau comme jury,  et à la veille de la sortie d’un nouveau livre aux éditions MF, il fera retour, le 4 novembre (1) sur son entreprise d’élucidation du sonore, questionnant la manière dont celui-ci nous traverse, nous affecte et transforme, dans le cas des oeuvres cinématographiques, théâtrales et radiophoniques.

Vous publiez prochainement  Libertés d’écoute, le son comme véhicule de la relation. C’est une somme de textes parus ou encore inédits qui courent sur une assez longue période. Quelle est l’ambition de ce nouvel ouvrage ?

Daniel Deshays — Après tant d’années de pratiques du son et à ce titre de l’écoute, j’ai voulu déposer sur le papier mes interrogations, aussi fugitives furent-elles tout au long de ces expériences, pour tenter d’avancer dans ce monde indocile du sonore. Ces travaux issus souvent de communications données lors de colloques ou lors de conférences m’aident à nourrir mon enseignement. Il me faut écrire pour poursuivre ma propre réflexion, j’espère ainsi ne pas trop tourner en rond et avancer sous des approches nouvelles. Ce travail d’assemblage de textes est issu d’une demande qui me fut faite lors des épreuves d’habilitation à diriger des recherches. 

La question d’un art sonore s’autonomisant de la musique, du théâtre, ou de l’audio-visuel vous semble-t-elle mieux perçue qu’au début de votre logue carrière de preneur de son ?

Daniel Deshays — Je m’appuie sur les pratiques que j’ai eues dans tous ces différents domaines pour comprendre ce qui y est spécifique. Un art sonore autonome ne peut tirer ses approches qu’en puisant dans ces différents champs d’application qui, chacun à sa manière, a conçu ses propres procédures d’écriture. Et il y a peu de nouvelles procédures qui n’empruntent pas à ces différents champs (théâtre, cinéma ou musique). Tout reste à inventer quant à de nouvelles formes. La difficulté, et on le constate lors de chaque prix Phonurgia Nova, est bien celle d’inventer de nouvelles formes C’est ce que l’on espère et guette à chaque fois. Mais on ne peut que constater que c’est exceptionnel quand on en trouve !

Du son, il y en a de plus en plus et partout. Au point de saturer notre espace. N’est-ce pas un paradoxe que le travail sur le sonore soit si mal repéré ?

Daniel Deshays — Ce que nous tentons de réaliser dans notre lutte quotidienne vous (Phonurgia Nova) et moi, parmi quelques autres, c’est de révéler cet objet son à la conscience au moins de ceux qui le pratiquent. C’est constitutif au son de ne pas être consciemment audible en raison de sa disparition permanente et surtout de notre attente de la suite des apparitions qui nous fait vivre l’instant présent de l’écoute comme une parenthèse déjà dépassée. Cette absence de conscience, de « mise à plat » est ce qui autorise toutes les croyances en des illusions : le technologique, le design sonore ou qu’il suffise d’ouvrir les micros pour que tout se fasse tout seul qui est le danger spécifique au field-recording

Vous prenez part au jury des phonurgia nova awards 2023. Ce n’est pas votre première expérience de ce jury puisque vous l’avez présidé pendant plusieurs années… Dans quelle disposition d’esprit abordez-vous cet exercice collectif d’évaluation de la création….

Daniel Deshays — Avec toute la curiosité de découvrir l’état actuel général de l’expression sonore et le très grand désir de faire de belles rencontres avec des pièces qui resteront mémorables !

Quelles furent précisément celles qui, selon vous, ont le plus fortement marqué les précédentes éditions ? Celles dont il faudrait absolument se souvenir avant de plonger dans ce nouveau bain sonore ?

Daniel Deshays —  Los Gritos de Mexico de Félix Blume fut une magnifique découverte d’une première œuvre étonnante par son aptitude à creuser l’excès de sonore de la rue en désignant tour à tour chaque élément singulier qui le compose. De même que Loire de Sophie Berger, cette longue route sonore qui reçut aussi le prix Découvertes Pierre Schaeffer.  The last voice de Joaquin Cofreces a marqué l’histoire de ce jury. L’oeuvre compose une ronde autour de la disparition du Yaghan, une langue de Patagonie dont on entend la dernière locutrice. Les sons sont très beaux. Les mots de cette langue inconnue accompagnent une dernière fois le vent, les vagues, les vibrations de la terre. Une autre spectaculaire démonstration de la puissance évocatrice du sonore : Fire pattern-frost patern d’Andreas Bick, une confrontation du chaotique du feu aux déchirements de la glace du Pôle. Dans un registre plus intimiste, les miniatures sonores de Bernadette Johnson, sa série des « Summer fragments » ont laissé elles aussi une empreinte tenace. Autant de formes poétiques. Autant de révélations. Ce sont des pièces qui me reviennent, qui surnagent dans ma mémoire parmi tant d’autres et qui perdurent depuis tant d’années.

(1) Samedi 4 novembre, 16h45 / 17h30
Centre Wallonie Bruxelles / grande salle. Entrée par le 46 rue Quincampoix, 75004, Paris.